Développer une culture d'apprentissage
Voici
une réflexion que j'ai proposée à un groupe de 500 personnes
intéressées par l'éducation et réunies à Québec le 12 septembre 2016
pour discuter d'une future politique nationale d'éducation.
Une politique, c’est d’abord une vision du monde
Une politique, c’est d’abord
une vision du monde, ensuite traduite
en actions. Il n’y a de vent favorable
que pour celui qui sait où il va (Sénèque). Où allons-nous en
éducation? Vers quels lieux et par quels chemins? Une politique est
une route balisée d’actions du quotidien, mais orientée vers un rêve, une
utopie. Excellents? Nous ne le serons jamais tout à fait. Pertinents?
Encore faut-il savoir par rapport à quoi. Efficients? Oui, mais en nous
rappelant que ce mot ne se conjugue pas qu’au mode impératif économique
parfait. Nous devons tendre vers l’excellence, la pertinence et l’efficience, donner
un sens à nos efforts individuels et collectifs et éviter le réflexe tout
humain de déterminer nos actions (et nos politiques) en mode action-réaction,
toujours dans l’urgence de l’instant, de l’événement-choc, de la vérité qui
dérange ou du mensonge qui rassure à ce moment précis. Primauté de l’instant,
comme l’observe Nicole Aubert (2003): les exigences du présent immédiat
absorbent à ce point les individus qu’elles ne lui laissent plus d’autres choix
que de s’engloutir dans le présent qui règne en maître, déniant toute pertinence
au passé et rendant sans objet toute projection dans le futur. Des problèmes,
il y en aura toujours, peu importe nos décisions, et ils pourront être couplés
à des solutions si nous avons un cadre de référence, une vision du monde qui nous permet de les développer. Maintenant et
dans le futur.
Développer une culture d’apprentissage
Apprendre nous permet de mieux
vivre. Apprendre pour soi et pour les
autres. Apprendre pour comprendre, mais aussi pour mieux faire et pour mieux être.
Apprendre pour faire la paix, l’amour, la justice et le développement durable.
Comme les aliments nourrissent le corps, les savoirs nourrissent notre
humanité, cette disposition à la
compréhension, à la compassion envers ses semblables (Le Larousse). Tout le temps et tout au long de la vie. Partout,
baigné dans une culture d’apprentissage. À l’école certes, mais aussi à
l’usine. De la télé, de la radio et un Web intelligents. Des journaux qui
disent le vrai. Des biens culturels à profusion et accessibles. Mille livres
qui ouvrent l’esprit à tous les possibles, à la beauté du monde et de la
différence, et non pas un seul, qui pave la voie à l’intolérance et à
l’incompréhension.
Que sont nos utopies devenues?
Les initiateurs de la
Révolution tranquille avaient du pif en consacrant l’éducation comme principal
vecteur de l’enrichissement individuel et collectif des citoyens et citoyennes
du Québec. Ils étaient visionnaires, utopistes. Deux grandes utopies éducatives
peuvent inspirer celle que nous sommes conviés à construire collectivement, ici et maintenant, pour développer une
culture d’apprentissage.
L’éducation: un trésor est caché dedans (les quatre piliers de l’éducation)
Le rapport Delors de l’UNESCO (1996)
associe l’éducation à un cri d’amour pour l’enfance et la jeunesse qu’il faut
de toute urgence accueillir dans nos sociétés. L’éducation tout au long de la
vie est aussi considérée comme une des clés d’entrée dans le XXIe
siècle. Il suggère d’organiser l’éducation autour de quatre piliers. (1) Apprendre à connaître implique le
développement d’une vaste culture générale, mais aussi de maîtriser un petit
nombre de matières. Cela veut dire surtout « apprendre à apprendre »
afin de reconnaître les occasions de formation tout au long de la vie. (2) Apprendre à faire permet d’agir
sur son environnement. Il faut être qualifié professionnellement, mais aussi
développer des compétences pour s’adapter au marché de l’emploi, alors que son
évolution est imprévisible. (3) Apprendre
à vivre ensemble vise la compréhension
d’autrui et des interdépendances, dans un
monde menacé. Cela réfère aux valeurs de pluralisme, de compréhension
mutuelle et de paix. (4) Apprendre à
être, enfin, permet de s’épanouir comme individu et de mieux agir de
façon autonome et responsable. Il ne faut négliger aucune des potentialités de
chaque personne : mémoire, raisonnement, jugement, sens esthétique, etc.
Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur
Edgar Morin (2000) est convié
par l’UNESCO à exprimer ses idées sur l’éducation du futur. Il propose sept
savoirs qui ne visent pas à remplacer les matières aux programmes
scolaires : ce sont plutôt des vecteurs qui permettent de créer des liens
entre ces matières, de leur donner un sens. (1) Le premier savoir vise à enseigner
les conditions de production du savoir
scientifique afin d’évacuer l’erreur et l’illusion considérées comme
les cécités de la connaissance. Il faut réintroduire l’étude des caractères mentaux
et culturels des connaissances selon un mode intégrateur qui enjoint de lier
sciences de la nature et sciences humaines. (2) Le deuxième savoir repose sur
le principe d’une connaissance
pertinente. La connaissance actuelle est fragmentée selon les
disciplines, il faut enseigner les méthodes qui permettent d’établir des liens
entre elles. (3) L’enseignement de la
condition humaine se décline par ses composantes humaines et
biologiques. Il est possible d’apprécier la complexité humaine en organisant les
connaissances dispersées dans de nombreuses disciplines. (4) L’identité terrienne est le
quatrième savoir. Le destin planétaire du genre humain est souvent ignoré dans
l’enseignement. Il convient d’enseigner l’histoire du monde. (5) Le cinquième
savoir implique d’affronter les
incertitudes. Il faut préparer les esprits à l’inattendu, considérant
les forces de la nature et l’aveuglement des personnes qui participent aux
décisions planétaires. (6) La
compréhension, le sixième savoir, est à la fois le moyen et la fin de
la communication humaine. La réponse aux défis de l’ère planétaire commande de
meilleures compréhensions mutuelles. Son enseignement porterait sur les causes
des intolérances : racisme, sexisme, âgisme, homophobie, etc. (7) L’éthique du genre humain est le
septième savoir. La condition humaine se comprend par ses trois composantes :
l’individu, la société et l’espèce. Une attitude éthique implique de considérer
de façon complémentaire le développement des autonomies individuelles, des participations
citoyennes et de la conscience d’appartenir à l’espèce humaine.
Quelques références
Nicole Aubert (2003). Le culte de l’urgence. La société malade du
temps, Paris, Flammarion. - Jean Bernatchez (2011), « Valoriser
l'éducation : le modèle de l'UNESCO », Le Point en administration
de l'éducation, septembre, p. 11-14. - Jacques
Delors (1996), L’éducation : un
trésor est caché dedans, Paris, UNESCO. -
Edgar Morin (2000), Les sept
savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, UNESCO. - Edgar Morin
(2014). Enseigner à vivre. Manifeste pour
changer l’éducation, Paris, Actes Sud.
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