Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire

Sébastien Proulx (2018), Un Québec libre est un Québec qui sait lire et écrire, Québec, Septentrion, 144 p.

Le livre du ministre de l'Éducation a été lancé la semaine dernière et déjà, de nombreuses critiques de son contenu sont apparues sur les réseaux sociaux, de la part de gens qui parfois n'ont même pas pris le temps de lire l'ouvrage (Source de la photo: Simon Clark, Journal de Québec). Pour ma part, je l'ai lu, et avec grand intérêt.

Il est bien écrit, dans une langue efficace et avec un vocabulaire sobre. Le ministre sera sûrement heureux de l'apprendre puisque l'homme et son gouvernement apprécient l'efficience (l'efficacité atteinte grâce à un minimum de ressources). Il n'y a pas trop de mots dans le livre: juste assez. Et je ne le dis pas de manière péjorative puisque cette critique, je l'adresse parfois à mes étudiant.es: "ton texte est bon, mais il y a trop de mots..." Les mots dits et les mots écrits sont beaux en soi. Marcel Proust est un génie. Mais une phrase courte et claire vaut mieux qu'une phrase longue et alambiquée, pour le scribe lambda. Sujet, verbe et complément. Une idée, un paragraphe.

Sébastien Proulx affirme qu'il a écrit ce livre "d'un trait durant la dernière période des fêtes" (p. 9). On décode dans les remerciements que des pros du clavier n'étaient pas loin, notamment Nicolas Mazellier, "ami de longue date (...) qui a pris sur son temps libre pour m'accompagner dans cette aventure" (p. 137). On se souviendra de cet ami comme d'un survivant du tremblement de terre d'Haïti (ce qui n'est pas évoqué dans le livre). Quand un politicien.ne signe un livre, il est difficile d'évaluer ce qui lui appartient en propre. Les idées? Sans doute. Mais qu'en est-il de la prose? Mystère et boule de gomme! Et il y a toujours cette justification: je l'ai écrit très vite, durant mes loisirs, car je ne suis pas payé pour réfléchir, mais pour agir. Même réflexe de la part de la jeune députée péquiste Catherine Fournier qui prétend avoir écrit son livre de 300 pages intitulé Milléniaux, ayons l’audace d’agir en... huit jours seulement! Personnellement, cela m'enlève le goût de le lire, mais je suis une personne de mauvaise foi. Cependant, j'ai toujours sur moi une vieille bible et, ma foi, si je croise par hasard ladite députée, je l'inviterai à jurer sur LE livre qu'elle dit vrai (ceci est de l'ironie; la seule chose que j'ai toujours sur moi, ce sont de vieux papiers-mouchoirs).

Cet appel à l'action est aussi présent dans l'ouvrage du ministre. Les dessins qui agrémentent son livre sont de lui. Ils sont beaux, même s'ils ont peu à voir avec le propos. Le ministre a la fibre d'un populiste (il est de l'école de l'ADQ). Les populistes n'ont pas que des défauts. Ils sont souvent proches des gens et de leurs préoccupations. Leurs solutions sont simplistes, mais ils ne sont pas plus imparfaits que les autres politicien.nes. Sébastien Proulx visite des écoles, côtoie des enseignant.es et des élèves. Voilà un bon point pour lui. Cela le caractérise par rapport à bon nombre de ministres de l'Éducation qui ont occupé le poste depuis 1964. Pour ma part, mon préféré est Camille Laurin (1980-1984). Je prépare une analyse de sa politique (avortée) L'école québécoise. Une école communautaire et responsable. Mais c'est une autre histoire et elle ne s'écrira pas en huit jours.

Dans son livre, le ministre utilise surtout des sources secondaires, alors que des sources primaires sont facilement accessibles. Il reprend plus souvent des opinions que des faits avérés (Alain Dubuc de La Presse l'inspire visiblement). Il se réfère à Daniel Pennac via le journal La Croix et à Luc Ferry via Le Figaro, alors que leurs propos dans leurs contextes originaux sont plus intéressants. On en déduit qu'il préfère la lecture de ces journaux de droite plutôt que ceux de gauche (Libération, L'Humanité). Normand Baillargeon est cité via un article du Devoir, alors que ses essais sont facilement accessibles sur tous les plans, et combien plus éclairants.

Aspects positifs du livre de Sébastien Proulx. Il pose ainsi la finalité de l'école: "former des citoyens libres, capables de débattre et de s'engager dans notre société" (p. 83). Il montre une préoccupation pour la culture générale, retenant la définition qu'en donne Normand Baillargeon. Il remet en question la réforme de l'éducation de la fin des années 1990, même si son argumentaire complémentant connaissances et compétences est réducteur. Il reconnait la responsabilité de tous et toutes pour la réussite des élèves. Il inscrit l'éducation dans un cadre plus large que le "scolaire" en insistant sur la réussite éducative, cela en conformité avec la politique rendue publique en 2017. "Lutter contre l'analphabétisme, c'est lutter pour éliminer les inégalités" (p. 129), observe-t-il avec raison.

Il prend position, sans trop argumenter,  sur certains enjeux non-consensuels et on devine qu'un deuxième mandat lui permettrait d'initier ces réformes. C'est sa "vision": il est pertinent de la connaitre, à défaut de partager son point de vue. Il souhaite la révision de la formation initiale des maîtres afin d'envisager "la possibilité d'offrir une formation initiale menant à un diplôme de deuxième cycle" (p. 32), couplée à un programme d'insertion professionnelle afin de favoriser la rétention des enseignant.es en début de carrière. Il veut discuter d'évaluation des enseignant.es. et réfléchir sur la création d'un ordre professionnel "en contrepartie duquel nous pourrons protéger cet espace d'autonomie essentiel pour les enseignants" (p. 35).

Aspects négatifs du livre de Sébastien Proulx. Sur le plan du contenu, il évacue des éléments fondamentaux de la dynamique du système. Il est le porte-étendard d'un gouvernement qui a effectué des coupes budgétaires féroces dans le système scolaire, cela au nom d'un dogme primaire qui ne tient pas la route, même d'un point de vue de finances publiques. Cette politique d'austérité - dont il est partie prenante - remet en question les principes qu'il défend dans son livre, au premier égard, la réussite des élèves. Il évacue d'un trait la pertinence de revoir (voire d'abolir) le financement public de l'école privée avec un argument fallacieux: "l'effet budgétaire de l'abolition de la subvention aux écoles privées (...) a fait l'objet de multiples travaux universitaires au fil des ans. Les résultats de ces études démontrent l'effet négatif de tels changements sur les finances publiques" (p. 70). À moins qu'il ne fasse référence à la source d'inspiration intellectuelle du PLQ, l'Institut économique de Montréal (qui n'est pas une université), sa prétention n'est pas conforme aux faits. Et comme la plupart des ministres de l'Éducation, il fait le choix pour ses enfants de l'école privée, un paradoxal message pour celui qui se présente comme le défenseur de l'école publique: un choix "qui repose sur des raisons qui ne concernent personne, sauf moi et ma conjointe".

Il évoque le fait "que le Québec se doit d'aller ouvrir des écoles québécoises ailleurs dans le monde, comme le font d'autres nations" (p. 52). Pourquoi cet impérialisme scolaire, à un moment où bon nombre d'écoles québécoises (surtout celles en milieux économiques défavorisés) n'ont pas toutes les ressources infrastructurelles et matérielles pour réaliser pleinement leur mission? En confiant le pilotage de son projet de Lab-école à trois personnalités extra-scolaires, il montre son manque de confiance envers les acteurs scolaires. On lit entre les lignes qu'il ne fait pas entièrement confiance aux gens qui l'entourent dans son ministère, ni aux gens du "réseau", au premier chef les enseignant.es, qui sont pourtant au coeur de l'institution scolaire. Sans argumenter, il nie le fait (plutôt démontré) que l'école québécoise est inégalitaire: "Je ne suis pas d'accord" (p. 70). Argument d'autorité, sans plus de démonstration. Son argumentaire sur la littératie numérique est aussi un peu court: apprendre la programmation à l'école, certes, mais pourquoi? Pour se mettre au service des GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) de ce monde, qui recherchent le profit avant toute chose et qui contribuent à une concentration sans précédent des richesses à l'échelle du monde? Cet apprentissage se fait-il au détriment des autres aspects du programme de formation de l'école québécoise qui contribuent plutôt à "former des citoyens libres, capables de débattre et de s'engager dans notre société"? La littératie numérique ne devrait-elle pas contribuer plutôt à s'approprier collectivement les outils numériques pour cultiver la paix, le partage et la collaboration? C'est le credo de l'UNESCO, auquel il se réfère pourtant (p. 50).

Cela dit, il est intéressant que le ministre propose à ce moment-ci, en cette année électorale, sa "vision" de l'éducation, ce qui permet de mieux camper l'homme et son programme. On ne peut nier sa bonne foi, ni sa volonté à ce que grandisse l'école québécoise, mais il est pertinent de questionner ses choix. Et pour les questionner, il faut les connaitre.

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